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Le destin de la petite cigarière de Séville

De Séville à Minorque, de l’Algérie à Casablanca

L’histoire de Carmen est un raccourci saisissant des tribulations de la misère et de la quête du bonheur. Son grand-père a quitté le Piémont italien pour un sort meilleur en Espagne. Dès l’âge de 13 ans, elle est l’une des 6000 ouvrières à confectionner des cigares dans la Manufacture royale de tabac de Séville. Mariée à 19 ans, elle suit Manuel, ouvrier à l’Arsenal, dans l’imposante forteresse de la Mola qui domine la baie de Mahon, sur l’île de Minorque.

Le couple y vit dix années, coupé du monde et de son animation, avant de reprendre le chemin de l’émigration vers l’Algérie où Manuel s’emploie comme forgeron dans un grand domaine viticole. Carmen met au monde 10 enfants à Séville, à Minorque et en Algérie. Veuve, elle suit ses enfants au Maroc où ils réussissent à mettre sur pied leurs propres entreprises. Elle meurt en 1939 à Casablanca.
L’enquête qui reconstitue sa vie débute à Séville, la capitale de l’Andalousie, dans la dernière partie du 19ème siècle. La ville a un passé prestigieux, a connu ses siècles d’or mais son déclin s’est amorcé depuis la fin du 18ème siècle. Les personnages qui nous intéressent y jouent un rôle modeste.

Dix années dans une forteresse militaire

Lorsque Manuel de la Torre (ne vous fiez pas à la particule pour en faire l’aristocrate qu’il n’est pas) rencontre et épouse, en 1882, Maria del Carmen Monzan, d’un an sa cadette, il travaille à la fonderie de l’Arsenal de Séville à la fabrication de munitions et d’obus de canons.
En 1890, Manuel entend parler de la forteresse Isabel II de la Mola, dominant la baie de Mahon, sur l’île de Minorque, dans l’archipel des Baléares. C’est un monument considérable, entouré de hautes murailles avec des batteries de canons, construit entre 1848 et 1875 pour se protéger contre d’éventuelles agressions de la marine anglaise.

Pour un spécialiste des canons comme Manuel, alors âgé de 30 ans, c’est l’espoir d’une vie meilleure et il décide de la saisir.
Pendant 10 ans, la famille vit dans un complexe militaire coupé du monde, défendu par des colonies de batteries. Un univers de casemates, de casernes, de poudrières, peuplé de soldats toujours en exercice où naissent trois de leurs enfants.

La réussite des de la Torre au Maroc

La Forteresse de la Mola était devenue obsolète avant même d’être achevée, du fait de l’évolution importante de la technologie d’artillerie. Manuel n’y avait plus sa place et, en 1901, toute la famille, le père, la mère et 6 enfants restants, s’établissent à Sidi Moussa, à une vingtaine de kilomètres au sud d’Alger. Manuel a trouvé à s’employer dans son corps de métier dans un domaine viticole où il va régner sur une forge et un atelier de mécanique et de charronnage.

Au décès de Manuel, encore jeune, Carmen, rejoint alors leur fils Emmanuel au Maroc où il s’est installé en 1925 comme contremaître dans un grand domaine viticole à 35 kms de Casablanca. Progressivement, tous les autres enfants les rejoignent et mettent en oeuvre leurs talents pour la mécanique.

Le domaine avait un dépôt important à Casablanca. Emmanuel qui transportait le vin entre les vignes et l’entrepôt en prend la responsabilité, travaillant avec un neveu. Il crée ensuite sa propre affaire de transports. Avec son frère Santiago et son neveu, ils seront à la tête des prospères Transports de la Torre et du garage Lamoricière à Casablanca. Leurs descendants vivent tous aujourd’hui en France où le grand périple familial a trouvé son terme.
La petite cigarière de Séville les avait quitté en 1939 après une vie d’épreuves marquée par la disparition de plusieurs enfants.