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Faire parler une photo

Une photo pour 3 mariages

Il était certain que c’était la photo de mariage de ses grand-parents mais il n’en savait pas plus. Trois couples de mariés y figuraient dans un groupe de plus de 70 personnes. Avant de confier au généalogiste la recherche complète de ses ascendants, c’est cette photo qui l’obsédait. Il voulait la faire parler. Il n’était plus tout jeune et regrettait de ne jamais avoir parlé de cette photo avec ses parents. Maintenant il voulait absolument savoir et connaître le destin de ces trois couples auquel il était intimement lié.

L’enquête aboutit rapidement à la triple cérémonie célébrée le 7 octobre 1912 dans le petit village vendéen de Bouin, qui sert de frontière entre la Vendée et la Loire Atlantique et dont l’horizon permet de découvrir l’île de Noirmoutier.

C’est un grand jour de bonheur. L’un des derniers sans doute vécu par ces deux familles de cultivateurs maraîchins. Moins de deux ans plus tard, cinq jeunes hommes présents sur la photo de noces – dont les trois jeunes mariés – sont enrôlés dans la Grande Guerre. Ce sont dorénavant leurs dossiers militaires qui parlent pour eux et signent la triste chronique familiale.

La dure vie des habitants de l’île de Bouin

A la fin de la guerre, quatre visages se sont effacés de la photo de noces de 1912. Trois ne reviendront pas et un quatrième est toujours prisonnier de guerre. La famille Guérel, comme tant d’autres dont les noms se gravent dans les monuments aux morts, a payé pour la patrie le lourd tribut du sang.

Auparavant, la vie de tous leurs ancêtres n’avait pourtant jamais franchi les limites d’un tout petit territoire, celui de l’île de Bouin, que l’envasement progressif d’un large bras de mer finira par rattacher au continent au milieu du 19ème siècle.

La vie de la famille Guérel s’y déployait depuis la nuit des temps sur une île battue par les vents impétueux, poussant la mer à renverser digues et chaussées, inondant et salant les prés, ruinant les terres ensemencées. Les habitants y mènent une vie pauvre et misérable où ils ne font pas de vieux os, sur une terre largement insalubre, aux chemins impraticables et coupée du continent 8 mois par an, les privant des denrées de première nécessité.

Henri IV, les Guerres de Vendée et la tragédie de 14-18

Nous allons suivre les générations de Guérel à travers les vicissitudes de l’histoire et notamment les Guerres de Religion où Henri IV met au pas les habitants de Bouin comme pendant les Guerres de Vendée où la exactions des Blancs et des Bleus plongent la population dans une véritable tragédie.

Laboureurs, les Guérel ne cesseront de trimer sur une terre en permanence frappée par la mer. Le travail, à la force des bras et avec la seule pelle des marais, est particulièrement pénible et les rendements sont faibles. Isolés de toute communication, ils vivent, comme tous les habitants, concentrés dans leur île, presque toujours occupés à réparer leurs digues et à entretenir des milliers de canaux nécessaires pour la formation du sel que les immenses dépôts vaseux de la baie de Bourgneuf engorgent tous les ans.

Nous allons entrer dans leurs pauvres maisons, découvrir comment ils ne nourrissent, ce que sont leurs fêtes et leurs amusements ou les maladies auxquelles ils font face sans le secours d’un médecin.

En 1919, Florent Guérel retrouve un monde qui n’est plus tout à fait le sien et dans lequel il a du mal à occuper sa place. Il n’a pourtant que 33 ans. Mais il a trop souffert, vu trop de camarades mis en charpie, il a souvent touché au fond du désespoir et l’internement forcé de ses longues années de prisonnier en a fait un homme qui ne se reconnaîtrait même pas sur notre fameuse photo de 1912.