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La découverte du véritable nom de famille

Pondichéry, un petit bout de France sur le continent Indien

François était fasciné par les origines indiennes de sa femme au nom pourtant si français. Mais dans la famille, personne ne connaissait l’histoire de ce nom si étrange alors que tous leurs amis indiens établis en France et en Belgique portaient des noms tamouls. Cette enquête va nous mener à Pondichéry, le comptoir français de l’Inde et nous plonger au coeur des querelles religieuses et des conflits entre les membres des différentes castes sur les rives du Golfe du Bengale. C’est l’histoire des « renonçants », qui sacrifient leur statut personnel indien pour se mettre à l’abri du Code Civil français.

Anna, la femme de François, s’appelle donc Bassompierre. Avec les noms et prénoms de ses grands-parents paternels, nés et morts à Pondichéry, la trace de leur mariage a été facile à retrouver. Car Pondichéry, ville du Sud-Est de l’Inde, c’est un petit bout de France que nous n’avons perdu qu’en 1954 où une consultation des conseillers municipaux a voté le rattachement à l’Inde, par 170 voix contre 8.

Des indiens catholiques sous la pression des castes

Pondichéry est entré dans l’histoire de France en 1673 lorsque la Compagnie des Indes s’est vue céder un petit village de la côte de Coromandel, au bord du golfe du Bengale. La première trace tangible des ascendants d’Anna est celle de son arrière grand-père : Joseph Bassompierre. En mai 1883, âgé de 22 ans, il épouse à Pondichéry, en premières noces, Perianayagame Saint-Jean, qui n’a pas 17 ans. Veuf, il se remarie en avril 1888, avec Conjandéammalle Erard, âgée elle aussi de 16 ans. Les deux actes de mariage apportent un précision essentielle. Le marié est désigné comme « catéchiste ». La famille était donc chrétienne. Avec cette référence, il nous faut encore plonger dans l’histoire religieuse indienne. En effet, la société tamoule et hindoue de Pondichéry comme le reste de la société indienne était divisée historiquement sur la base des castes, organisées hiérarchiquement et auxquelles on ne peut échapper. 

Au fil du temps, avec l’arrivée des Français à Pondichéry, certains membres appartenant aussi bien à des hautes castes qu’à des castes inférieures se convertirent au catholicisme, grâce aux efforts déployés par les missionnaires.

 

Le décret de renonciation

Le nom du père de Joseph Bassompierre est également mentionné dans les deux actes de mariage de son fils. Il portait un autre nom, bien indien cette fois, Arokiamé ! Pourquoi ce changement de nom ? 

La lecture patiente du Journal Officiel des Etablissements Français de l’Inde, des années 1848 à 1881 fournira la clef de l’énigme. Le gouvernement de la Troisième République a publié un décret, le 18 septembre 1881, qu’on va appeler « le décret de la renonciation », moyen potentiel pour les chrétiens de ne plus être régis par le droit coutumier hindou ou musulman. 

En renonçant à leur statut personnel, ils devaient aussi indiquer dans l’acte de renonciation le nouveau nom patronymique qu’ils entendent adopter pour eux et leur descendance, afin d’affirmer leur pleine appartenance à la nation française. Le registre des « renonçants » de Pondichéry, établi en 1882, comprend 1259 noms. Parmi eux, bingo ! Celui de Joseph qui abandonne son nom d’Arokiamé pour celui de Bassompierre. Son âge, 21 ans, lui permet de prendre l’option pour lui-même et sa descendance, ce que son père ne fera pas. 

Le choix de l’arrière grand-père d’Anna d’opter pour la renonciation de son statut personnel hindou pour protéger sa foi chrétienne grâce au Code Civil français nous offre ainsi un miracle généalogique. Sans cette décision, toute recherche se serait évanouie dans la longue nuit des temps du peuple tamoul. La quête des ascendants d’Anna s’arrête en effet aux parents de Joseph.